Je viens de relire le livre passionnant de Pierre Ladonne III, d'une famille de quatre générations de cabretaires où le petit parisien Pierre de la colonie auvergnate retourne chaque été au pays chez les Grands-parents s'immerger "dins la lenga mai la Musica dau pais";
Chaque été j'allais au Bleymard en Lozère dans l'ancienne maison du Grand-père ; le Grand-père n'était plus là mais moi aussi le petit Provençal, je baignais dans cette culture du Gévaudan pour la langue (lo patès occitan de segur ;) et la musique.
Dès le début du Folk, j'ai commençais par le cajun et l'irlandais mais je me suis rapidement
"afogat" de la musique et de la langue du Massif Cental occitan. Et je crois que mes séjours réguliers au Bleymard ont étaient décisifs pour mes passions.
J'ai tiré ces textes du site très complet sur le Bleymard :
loubluma
https://sites.google.com/site/loubluma/repapiades
(J'ai presque 2 ans au bras de ma mère, et regarde inquiet le monsieur qui veut donner un coup de bâton à mon papa ;)
Une vidéo sur "Los Fierejaires" du Bleymard avec cabrette et accordéon pour une "Crosada" d'ici :
https://drive.google.com/file/d/0B-MdxaVZEzJYSjZCbFdzV0JDZ1U/edit?usp=sharing
La BLEYMARDOISE " par N. Amouroux
"Tot en legir, escotatz la Borréia "La Bleymardoise" :
https://drive.google.com/file/d/0B-MdxaVZEzJYSXBISGd3T1c5NTQ/edit?usp=sharing
Et c'est parti :
"10 - La maison BALEZ
Lorsque , il y a quelques années' je sillonnais les rues du village pour photographier les linteaux et vieilles pierres, mon attention a été attirée par une série de documents et photos affichés en façade de la maison Balez de la " Campanade ". ("sonnerie des cloches" mon père avait demander au curé de baisser le son des cloches pour ne pas réveiller les enfants)
Le dessus de porte de cette maison étant assez original , je l'ai inclus , avec les photos , dans mon site "Linteaux et vieilles pierres "
Par M. Yonnel Balez (mon frère avec le bâton, je suis à doite), j'ai appris, depuis, que cette maison abrita l'école communale jusqu'en 1850, date à laquelle l'habitation fut acquise par son aïeul Pierre Balez arrivant d'Arzenc de Randon pour s'installer au Bleymard en qualité de garde - champêtre.
Parmi les documents exposés figurait un texte de Charles Balez, instituteur, (1916- 1984) qui raconte avec beaucoup d'émotion et d'authenticité ses vacances au Bleymard chez ses grands- parents, Eugène et Marie -Louise née Ferrier (photo en annexe)
Avec l'autorisation de son fils Yonnel, le récit de Charles Balez est retranscrit ci dessous :
SOUVENIRS D'ENFANCE
Chez mon grand-père au Bleymard
Quand j'étais petit, vers 1923-1924, que j'avais de 7 à 8 ans, je restais à Marseille où mon père était venu travailler. Mais chaque année, dés le 1er août, en ce temps là nous n'étions en vacances que le 31 juillet , je montais en Lozère pour garder les vaches de mon grand-père. Je ne redescendais à Marseille que le 30 septembre pour la rentrée à l'école le 1er octobre .
Le voyage était merveilleux pour moi malgré que je sois seul et que je m'ennuyais parfois. Le train partait de la gare de Marseille vers 10 heures du soir, mon père m'accompagnait et cherchait un voyageur qui allait plus loin que Villefort car c'était là que je devais descendre du train.
En descendant du train, je me retrouvais seul dans une gare obscure vers 3 heures du matin. Je devais attendre pendant sept heures d'horloge que l'autocar, que l'on appelait à ce moment là, la voiture, vienne charger les voyageurs qui se rendaient au Bleymard, à Bagnols et à Mende . Cet autocar puait l'essence et il était rempli de voyageurs. Il y en avait même parfois sur l'impériale avec les bagages, les caisses et les bicyclettes. Aujourd'hui, ce car fait toujours le même service de Villefort à Mende, mais sa mécanique et sa carrosserie sont modernes, et il n'y a pas tant de voyageurs. Ils ne sont que un ou deux et même parfois le chauffeur se trouve seul. Le long de la route l'autocar s'arrêtait dans tous les villages. Le chauffeur allait boire un coup ou porter un petit paquet et il en profitait pour discuter avec l'hôtelière ou les clients du cabaret. Nous autres, les voyageurs, nous attendions dans la voiture .Tout cela allongeait le chemin et, pour parcourir trente kilomètres, il fallait une grosse heure.
(Au Bleimard, moun grand m'esperavo a l'arrest que ié dison encaro, la Remiso, en remembranço dóu tèms di diligènci. Ere countènt d'embrassa moun grand. Avié sourti sa grosso mostro, sa ' cebo' e disié 'des ouros ! Es à l'ouro'. Li proumié còp acò m'estounavo d'arriba à la memo ouro qu'ère parti mai saupère lèu que moun grand avié l'ouro dóu soulèu e la gardè touto sa vido. Avian cinq cènt mètre à faire pèr rejougne l'oustau. Après un gros poutoun à ma grand, anave lèu à l'estable vèire li vaco ; à l'abitudo, n'i avié dos, mai, ço que m'interessavo èro de saupre se i'avié un o dous vedèu, pèr ço que se n'i avié dous i'aurié ges de la pèr béure lou matin, pèr dejuna, faudrié m'acountenta d'aigo boulido, trempado emé de pan brun. Li vaco, en aquelo epoco, travaiavon dóu matin au sèr. Se i avié qu'un vedèu, ère de segur d'avé moun la tout lou tèms di vacanço. L'enfant de la vilo qu'ère se coungoustavo de la e de pan blanc e m'agradavo gaire la soupo e lou pan nègre. Écrit en provençal par mon père)
Au Bleymard, mon grand-père se trouvait à l'arrêt que l'on appelle encore la Remise, pour rappeler le temps des diligences. J'étais heureux d'embrasser mon " papet ". Il avait sorti sa grosse montre " la cébo "et il disait "10 heures, il est à l'heure" ou plutôt il disait " dech ouros es a l'ouro " car mon grand père ne parlait jamais le français. Et c'était aussi l'heure du soleil qu'il garda toute sa vie . Nous avions 500 mètres à faire pour arriver à la maison .
J'embrassais ma grand-mère et j'allais vite à l'étable voir les vaches . D'habitude il y en avait deux mais ce qui m'intéressait le plus c'était de savoir s'il y avait un ou deux veaux. S'il y avait deux veaux , il n'y aurait pas de lait pour mettre dans mon petit déjeuner le matin et il me faudrait me contenter de l'eau bouillie, avec une gousse d'ail et trempée de pain bis .
Les vaches, en ce temps là, travaillaient du soir au matin, pour la fenaison, pour rentrer les gerbes, pour labourer, pour aller au bois et elles ne donnaient guère de lait (1) quand on les trayait le matin et le soir. S'il n'y avait qu'un veau j'étais sur d'avoir du lait. L'enfant de la ville que j'étais se régalait avec du lait et du pain blanc et je n'aimais guère l'eau bouillie avec du pain bis .
Le même jour, mon grand -père me conduisait chez le tailleur (le Fèlix Farges N.D.R), il y en avait un en ce moment là, et il m'achetait une blouse noire ou bleue et des culottes courtes. Puis nous allions chez "l'escloupié " (le Buisson qui habitait au bas de la Campanade NDR) et il m'achetait une paire de sabots. Le soir, il les ferrait avec des fers de vaches usés( 2 ). Les vaches, en ce temps là, étaient toutes ferrées des 4 pieds pour travailler. Ma grand-mère, elle, plaçait mes vêtements de la ville dans la grande armoire et je ne les revêtais que le Dimanche pour aller à la messe et à la fin des vacances pour retourner à Marseille.
Combien de fois, ainsi, je suis revenu chez moi, les 30 septembre avec des souliers qui me faisaient souffrir le martyre, parce que mes pieds avaient grandi en 2 mois, et pendant ce temps mes souliers de ville étaient restés tels quels .
Charles Balez
(1 ) mais quel lait !
(2) comme c'est vrai ! Il y avait toute une hiérarchie dans les sabots selon l'usage ou les moyens du "saboté " : avec ou sans bride, vernis ou non, ferrés ou non ferrés
Aux périodes citées par Charles Balez, ses grands- parents avaient entre 74 et 76 ans et je suppose qu'avec eux cohabitait leur fils Jérome ( 34 ..36 ans ) dont Charles ne parle pas .
Le Jérome ( de mon temps les noms, prénoms et surnoms étaient toujours précédés de l'article , "communisés" en quelque sorte ) ( M. Jérome Balez ) figure en bonne place parmi les gens pittoresques que j'ai eu la chance de connaître, au Bleymard.
Célibataire, il habitait cette ancienne mais belle maison que l'on trouve en montant "la Campanade", à gauche.
Il possédait, comme son père des dons de guérisseur et il va de soi que les habitants du village étaient partagés entre ceux qui y croyaient et ceux qui n'y croyaient pas . (mon grand-oncle a guéri un cousin germain de Nîmes par téléphone :)
Ma famille faisait plutôt partie des sceptiques. Cependant je me souviens très clairement d'une guérison. Ce devait être dans les années 40, un tout jeune garçon qui jouait dans la cuisine de mon oncle (l'Albert , ami et classard du Jérome) se renversa une casserole de lait bouillant sur sa jambe nue. Mon oncle et le père enveloppèrent le gamin hurlant de douleur dans une couverture et se précipitèrent vers la "Campanade" chez le Jérome. Ce dernier, racontèrent-ils après leur retour, en quelques secondes, "coupa le feu " qui se propageait en vilaines cloques sur la cuisse du malheureux dont les cris et pleurs ne tardèrent pas à cesser. Quelques jours après, il ne subsistait aucune trace de brûlure et notre scepticisme fut quelque peu ébranlé .
Dans les années 40, mon cousin, Joseph, et moi même, assistés d'une brouette, livrions périodiquement une bonbonne de vin au Jérome. Nous étions délicieusement effrayés compte tenu des légendes qui courraient sur lui, de son aspect et de la quasi obscurité qui, me semble t'il, régnait dans la maison .. Mais il se montrait très gentil, très souriant, et il nous impressionnait par sa culture, qu'il faut peut être, jauger à l'aune de notre inculture, mais le texte de la carte jointe en annexe témoigne à la fois d'une élévation d'esprit certaine et des problèmes causés par la déformation de ses mains
Il nous faisait asseoir à la table placée devant la fenêtre et demandait à sa bonne, ou gouvernante, dont j'ai oublié le nom, de nous servir une tasse de café ou un verre de grenadine. Il discutait volontiers avec nous, surtout avec mon cousin plus âgé, et nous montrait des lettres et cartes postales de remerciement qu'il recevait de partout en France .
Lorsque nous le quittions, il nous glissait un pièce de monnaie, aussi à l'issue de la première livraison nous étions toujours volontaires .
Des détails avaient frappé l'enfant que j'étais, d'abord ses mains déformées et recroquevillées , je suppose par l'arthrose, et surtout un système de cordes, poulies et contrepoids qu'il avait installé de manière à ce que la porte d'entrée se ferme automatiquement !
Il est décédé en 1953 et son petit-neveu Yonnel a bien voulu me confier les photos de la famille Balez que l'on peut consulter dans le site annexe
"Oc plan ! quo es una brava Musica Populari d'aiçi monsur lo Torista…"
Ivon